mardi, octobre 24, 2006

10/06 3eme semaine/ third week

La nuit est rapide ce soir.
La lune est pleine et nous éclaire de toute sa splendeur. Elle semble sourire dans les étoiles. Plus bas, des nuages obscurcissent ce qui reste de la Terre. Plus bas encore, c'est le désert, celui du Nouveau-Mexique, et il y a très peu de lumières pour nous rappeler qu'il y a la une civilisation quelconque. Beaucoup d'endroits sombres, coupés par un petit groupe de lumières oranges ou blanches. Des étoiles dans une nuit pleine d'étoiles.

Nous sommes à 41 000 pieds et nous fonçons comme un bolide. Le jet stream, comme un fou furieux sans grande destination, nous propulse d'un bon 120 noeuds, en plus de la vitesse propre de l'avion, ce qui est rare à cette altitude. Il n'y a pas beaucoup d'avions de ligne qui peuvent monter si haut et il y a peu de monde à la radio, silencieuse. Déjà, dans cette nuit limpide qui ne cache rien, on aperçoit El Paso, notre destination, 350 km plus loin, là-bas à l'horizon, une oasis dans le désert.
Un avion en sens inverse passe, juste au dessus de la couche de nuages, qui du coup semble reculer. L'effet de vitesse est saisissante. Derrière, nos passagers dorment, innocents de tant de beauté leur étant offert. Comprendraient-ils de toute manière ou faut-il être pilote, pour apprécier en connaisseur ?
A cette altitude, il y a peu de vent sur le pare-brise. Il faut murmurer pour ne pas se faire entendre dans la nuit. Dans le silence nocturne, on n’entend que le ronronnement de l'avionique qui travaille en douceur, un ordinateur et une multitudes de microprocesseurs qui nous illuminent le visage avec trois écrans devant nous. Gus, assis à ma droite, semble reconnaître ma satisfaction. Je sais qu'il a vu la façon tentative, presque exploratoire dont mes doigts ont touché le volant. Le plus surprenant dans notre cockpit pressurisé avec climatisation, c'est que dans ce monde extérieur qui ne nous pardonnerait pas nous sommes en chemisette à manche courte, habitués à des températures clémentes, lui habitant Las Vegas et moi Los Angeles. Nous devons sans doute faire quelque peu touristes dans ce ciel que nous visitons à grande vitesse, ce soir. Je me penche vers le pare-brise, de la même façon qu'un enfant doit se pencher vers un aquarium. Je regarde dans la nuit en dessous où il n y a rien, et maintenant au-dessus où il n y a rien non plus, à part la lune. Celle-ci éclaire des couches de nuages que nous traversons et franchement, c'est superbe. Je souhaiterais éteindre tout, arrêter ces microprocesseurs pour un moment, éteindre ces écrans qui me gênent pour mieux voir encore. Pendant un moment, je regarde autour du cockpit. Ici, au moins, tout est familier. Je peux, presque sans hésitation, toucher tous les boutons, interrupteurs et autres. Pour un peu, je pourrais presque le faire les yeux fermés. Si vous passez des milliers d'heures dans la même petite pièce, une salle plus petite encore que celle qu'un prisonnier pourrait tolérer, et si vous passez votre temps à devenir le maître des particularités de cette pièce, alors certainement, vous devez en connaître les moindres recoins, le moindre bruit.

Bien que je réalise qu’il n'y a pas de logique dans mon geste, je bascule l'interrupteur des phares. C'est involontaire, plutôt comme un enfant qui veut tout le temps jouer. Gus tourne la tête doucement, comme une chouette dans la nuit. Il m'observe et fronce un peu le nez face à cette soudaine brillance devant le pare-brise. Dans un cockpit, peu de choses sont faites sans raison. Dans un jet, par exemple, vous n'allumez pas les lumières pour voir si les réacteurs fonctionnent toujours. D'abord, c'est loin derrière vous, d'où le silence dans le cockpit, et ensuite, l'endroit pour se rendre compte de l'état de santé des moteurs est sur le panneau en face de nous, encore des instruments digitaux, des résultats de langages d'ordinateurs qui sondent, interrogent, analysent. Ils ont rarement tort.
Gus attend une explication. Il est de Bolivie. Un ancien pilote de la marine, qui a piloté des hélicoptères dans la jungle de son pays et qui en a eu marre de se faire tirer dessus par la guérilla locale ou par les riches trafiquants de drogue. Piloter un avion d'affaires aux Etats-Unis, ça doit être la définition de succès lorsqu'on vit à La Paz. Quelque part, je lui dois sans doute le respect. Déjà, il est plus vieux que moi, et il a fait des choses, il a vu des choses, que jamais, non jamais je ne souhaiterais vivre. Mais pour l'instant, comme s’il était dans un purgatoire, il doit attendre avec toute la patience qu'il peut maîtriser le fameux jour où il n'aura plus à voler en tant que copilote. Jusqu'à ce jour, il doit faire attention à ses manières dans le cockpit, noter celles de son commandant, s’y calquer peut-être, ranger sa fierté au placard, et toujours trouver cet art de communiquer dans le cockpit, sans brusquer, sans froisser, cette sorte d'obéissance sans toutefois en être l'esclave. Les règles sont fixes. Je suis, quelle que soit l’éventualité, censé en savoir plus que lui, une théorie que nous sommes tous deux prêts à reconnaître en secret comme simplement ridicule. Maintenant, éblouis par les phares, ses yeux m'accusent d'avoir une végétation quelconque dans le cerveau, et du coup, d'être à l'approche d'une sénilité précoce. Il sourit un peu, comme s’il avait compris la définition de l'ennui en croisière. "Pyrotechnique" lui dis-je, tout en éteignant les phares. Une pause, pendant que ses lèvres cherchent une réponse mûrement cogitée : "Ah oui..."

Suit un long silence où décidément, on n'entend que le ronronnement des instruments, un peu comme dans un laboratoire. Je pourrais déplacer les manettes vers l'avant ou l'arrière. Donner un peu de vie à notre avion. Mais cela déplacerait son équilibre. Et ce soir, dans la masse d'air, nous sommes suspendus dans un équilibre parfait, une luge qui glisserait dans la neige sans obstacle. 550 noeuds par rapport au sol, pour être exact. La vaste majorité du public comprend comme nous que 1000 km/h suffisent pour terminer une vie instantanément. Nous sommes payés pour éviter les embûches, mais il y a encore des crevasses inexplorées dans notre réservoir de connaissances. Notre zèle pour le vol est toujours refroidi lorsqu'on réfléchit aux accidents impliquant d'autres pilotes. La première chose à connaître est l'épitaphe célèbre: Sa fin fut rapide.

Alors c'est pourquoi lorsque le contrôleur nous envoie son message dans la nuit nous nous arrêtons net dans notre rêverie pour laisser venir les coutumes, les rites, le réveil. J'avance mon siège, rajuste quelques ceintures. A cette vitesse, le monde des rampants va arriver vite et peut-être viendra aussi la nostalgie d'un vol qui finit, avec la prochaine excitation, l'impatience du prochain vol. La voix dans la nuit nous a demandé de descendre à notre discrétion, jusqu'à telle altitude. La dame au bout des ondes est à Albuquerque, la ville aux montgolfières tous les automnes. Elle nous a parlé d'une douce façon, un peu désolée sans doute de devoir nous faire descendre. A cette heure dans la nuit, elle ne peut avoir à faire qu'à des rêveurs ou des poètes. Mais elle ? Que fait-elle si tard à sa console? Est-elle mariée ? Des enfants ? Sa voix un peu triste me fait penser que, peut-être, elle aussi voudrait voir de telles images. Hier, nous étions à Calgary. Demain, ce sera New York.

Les choses s'accélèrent à la radio et le monde semble se réveiller. Descendre plus bas dans un trou noir semble être ridicule, mais l'ordinateur continue de sonder dans la nuit, avec des termes barbares comme le EGPWS qui nous permettrait de voler en pleines régions montagneuses en IMC, si on nous laissait faire. Le terme est peut-être guttural, mais le microprocesseur nous donne le feu vert, et l'autre écran dit que dans moins d'une demi-heure, à la grâce des dieux, nous serons au sol.
L'air est si souple, un tel glissement dans la soie, que je débranche le pilote automatique sans bruit. Une nuit pareille, ça se savoure jusqu'au bout. Il y a, dans mon moi intérieur, comme une anticipation familière, un amour du travail bien fait. Je ne suis plus un songeur dans la nuit. Je suis le menuisier sur son banc de travail, je suis le boulanger surveillant sa cuisson. Nous sommes devenus des artisans, et de l'abondance de nos connaissances et les qualités presque surhumaines de notre pilotage, nous allons une fois de plus, du moins nous l'espérons, descendre ce vol en toute sécurité vers la terre. Plus jeune, et j'imagine même que je serais fier. Ma pensée est devenue entièrement mécanique. L'ATIS nous est venu par une interrogation d'ordinateur par un autre, et délivré sur un écran. La configuration de l'aéroport, les montagnes à proximité au sud-ouest, la piste en service avec le taxiway où nous dégagerons ont été discutés. Rien ne nous échappe. Rien ne doit nous échapper. Et pourtant, je prends vaguement connaissance qu'en dépit de tout ce travail, les éléments contre nous ne sont pas naturels à la race humaine. Peut-être un jour, pour la beauté du geste, je mettrai des gants blancs, comme pour mieux sentir les vibrations de notre bel avion. Nous avons un respect mutuel lui et moi. Je le sens bien, comme une monture, à jauger son conducteur et à essayer de livrer un coup dans telle direction pour voir ma réaction. Attentif, je ne laisse rien au hasard. Tous comme je comprends bien qu'il y a certaines choses que je ne peux pas lui demander de faire. Le faire serait finir notre amitié lui et moi.

Un autre contrôleur nous demande si nous voulons une approche à vue. Gus m'interroge de ses yeux noirs profonds que savent avoir certains latins. Poli, il attends une réponse, alors qu'il a dû voir, dans son professionnalisme, que les conditions sont VMC, que le terrain est là-bas, juste à l'extrémité de la ville, mais il ne peut rien faire sans le protocole. Nous prendrons l'ILS, lui répondis-je. De nuit, c'est beaucoup plus prudent, plutôt que d'aller se poser sur la base de l'US Air Force, juste à côté. Et puis, égoïstement, je préfère continuer à piloter notre bolide de plusieurs tonnes, avoir le plaisir de le ralentir pour continuer dans la soie de l'air. Un Citation à 200 noeuds, ça se pilote comme un planeur, ce qui reste quand même mon premier amour. Et puis il y a la stabilisation. Aligné, taux de descente affiché, il n'y a plus qu'à attendre, bougeant le volant d'une façon imperceptible, pour ne pas déranger cet équilibre durement acquis.
J'affiche 38% à la poussée, ou plutôt règle le fuel flow à 550 Lb/h par réacteur, car il y a trop d'inertie à la N1. Et ça descend. C'est incroyable comme c'est beau et triste à la fois. Les lumières se font plus nombreuses et plus grosses de tailles, et pourtant, chaque seconde qui passe nous rapproche de ce déchirement du vol qui se termine. Le bruit des pneus sur la piste est un sanglot, le caoutchouc laisse au sol est en fait la trace d'une larme. Vient le moment fatidique où l'on juge l'homme et sa machine : il faut arrondir. Où ? Comment ? En tant qu'instructeur, j'ai longtemps parlé de physique et de science. Un pilote n'avouera jamais d'autres facteurs comme la chance, et surtout, une bonne dose de magie.
Alors, dans ce mélange d'aérodynamique, de calcul de microprocesseurs encore une fois, qui nous montre la force et la direction du vent jusqu'au toucher des roues, en appliquant la dose de magie qui correspond à cet instant précis, j'applique l'équivalent de 18 décanewtons vers l'arrière, assez pour soulevez le nez de l'avion et lui faire croire que nous allons repartir dans le ciel. La chance, mais aussi le coup d'œil qui me fait réaliser que j'ai suffisamment de piste pour rallonger l'arrondi comme nécessaire, fait que vient le baiser tranquille d'un avion qui se pose comme il a tant de fois fait dans le passé, et avec le sourire et les yeux envieux de Gus qui en dit long sur ce contact avec le monde.
Je sors de piste, ralentis l'avion à regret. Pas de reverses, je les sors juste sans rajouter de puissance. Les freins au carbone sont suffisamment efficaces. Check-lists, bruits de volets qui rentrent, brouhaha à la radio, cliquetis de trims qui se remettent en place.
Triste.
Sur le papier, le vol n'est pas fini, tant que nous n'arriverons pas au parking, mais dans nos yeux et dans nos cœurs, c'est bien un rêve qui se clôt. Certains de mes collègues seraient heureux d'avoir fini, eux qui volent par métier. Ils retrouveront l'hôtel avec gaieté, sautant sur leur téléphone portable pour appeler sans doute leur femme ou petite amie, racontant comme leur vie peut être fatigante entre les orages à éviter, les réveils de bonne heure le matin, les circuits d'attente que nous ne manquerons pas de dessiner dans le ciel dans le corridor Boston- New York- Washington. Ils n'ont pas forcément la même passion. Peu, comme moi, vont se diriger droit vers les rideaux, dès leur arrivée dans la chambre, et les ouvrir en grand, pour de nouveau admirer le ciel.

Un ciel qui fut si beau ce soir.

Well, Richard and I are happy to announce our baby has entered its second trimester. Well, that's all! Have a nice day! Eat lots of chocolate. Vote Alien. Blow cheese. Make a really big sneeze. Cuddle with a bear who wears no underwear. Eat snow when you know it hasn't been visited by a big doe. Wear an avocado with bravado. Mark on your knees if and when you please. Beebadabee! That's all folks! (Oh, and I have the greatest husband in the whole wide world. Any of you who have husbands, mine is smarter and nicer and kinder and cuter and the best overall bestest in the whole widest world. So there! ) :) :O :*

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